CMGF 2025 : Une boussole pour l’avenir de la profession ? Entretien avec le Pr Paul Frappé
À l'approche du 18ème Congrès de la Médecine Générale France (CMGF 2025), qui se tiendra du 27 au 29 mars prochain au Palais des Congrès de Paris, j'ai eu l'opportunité de m'entretenir avec le Pr Paul Frappé, président du CMGF. Ensemble, nous avons exploré les enjeux actuels et futurs de la médecine générale, les ambitions de ce rendez-vous incontournable et les évolutions marquantes d'une profession en pleine mutation.

Yasmine Achour : Professeur Frappé, pourriez-vous nous présenter ce congrès et nous dire depuis combien de temps il existe ?
Pr. Paul Frappé : Il s’agit du 18ème congrès. Il y a eu une année d’interruption due au Covid, ce qui fait que nous en sommes à la 19ème année. Le congrès est désormais un événement annuel à Paris. Il s’adresse non seulement aux médecins généralistes, mais aussi à tous leurs interlocuteurs. L’identité de ce congrès est de rassembler toutes les facettes de la médecine générale, qu’il s’agisse des différents types d’exercice, des sociétés savantes ou des associations. L’objectif est de créer un espace d’échange et de discussion sur les préoccupations des médecins généralistes.
Y.A. : Ce congrès est organisé par le Collège de Médecine Générale. Quels sont les rôles de ce collège ?
Pr. P.F. : Le Collège de Médecine Générale est une association créée à l’initiative des structures qui représentent la médecine générale en France, qui étaient historiquement assez dispersées. L’idée était de créer une table ronde pour que ces structures puissent se retrouver, partager leurs enjeux et discuter entre elles. Le collège sert également d’interface pour soutenir ces structures auprès des interlocuteurs, en renforçant leurs messages et en facilitant le dialogue. Nos missions sont de fédérer, d’initier, de promouvoir et d’améliorer la qualité de l’exercice de la médecine générale.
Y.A. : Quelles ont été, selon vous, les évolutions majeures de la médecine générale en France ces dernières années ?
Pr. P.F. : Je dirais qu’il y a deux points essentiels. Premièrement, nous assistons à une remise en question de ce que nous considérions comme les fondements de notre profession par la société, les politiques et l’évolution des métiers de chacun. On observe que certaines de nos activités, comme le diagnostic, s’ouvrent à d’autres acteurs.
Deuxièmement, l’évolution des outils, qu’ils soient technologiques, organisationnels ou financiers, transforme profondément notre exercice. Le Collège de médecine générale va d’ailleurs publier un nouveau référentiel professionnel, le précédent datant de 2008, afin de redéfinir les contours de la médecine générale et les responsabilités qui incombent aux médecins généralistes dans ce contexte en constante évolution.
Des questions importantes se posent, notamment avec l’essor de la télémédecine et des soins non programmés, qui nous amènent à repenser notre rôle et nos pratiques. Ce référentiel est le fruit d’un travail collégial, visant à établir un consensus sur ces enjeux cruciaux.
Y.A. : L’organisation de la médecine générale est également en mutation, notamment avec l’essor des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS). Quel impact peuvent-elles avoir sur la pratique des médecins généralistes ?
Pr. P.F. : Oui, les CPTS ont le potentiel d’améliorer les choses en apportant une certaine puissance de décision et d’organisation. Cependant, il est essentiel de trouver ses marques et de s’assurer que ces structures deviennent une facilitation plutôt qu’une charge pour les praticiens. L’enjeu n’est pas d’être pour ou contre, mais de réfléchir à la manière dont les CPTS peuvent agir au mieux pour améliorer l’offre de soins et le confort d’exercice.
Y.A. : L’intelligence artificielle (IA) est sur toutes les lèvres. Quel rôle entrevoyez-vous pour l’IA dans la pratique future des généralistes ?
Pr. P.F. : L’IA est déjà présente dans de nombreux aspects de notre pratique, souvent sans que l’on s’en rende compte, comme dans l’interprétation automatique des ECG. Elle infuse de plus en plus de dimensions, notamment dans la prise de notes, la transcription des dossiers et la rédaction des courriers, ce qui peut apporter des bénéfices en termes de sécurité et de confort. L’IA se développe également dans la prise de rendez-vous en ligne et dans l’aide au diagnostic, comme en dermatoscopie. Je pense que nous sommes encore loin d’imaginer toutes les utilisations possibles de l’IA.
Y.A. : Qu’en est-il de la formation continue des médecins généralistes face à ces évolutions et aux besoins spécifiques ?
Pr. P.F. : La formation est un champ particulier. On entend souvent dire que les généralistes ne sont jamais assez formés. Il est plus pertinent de s’intéresser aux besoins spécifiques des généralistes plutôt que de simplement comptabiliser les heures de formation sur tel ou tel sujet. C’est un défi complexe. On pourrait être tenté d’ajouter des heures de formation spécifiques sur l’obésité, comme on le fait pour d’autres domaines. Mais je pense que ce serait contre-productif. Ce n’est pas en empilant les heures de cours qu’on améliore les pratiques.
Il faut plutôt miser sur une approche transversale. Bien sûr, la mise à jour des connaissances est essentielle. Mais il faut aussi fournir aux médecins de nouveaux outils, de nouvelles méthodes, et un financement adéquat pour les mettre en œuvre.
Le danger, c’est de vouloir cloisonner les sujets. L’innovation, la relation patient-médecin, l’environnement… tous ces thèmes doivent irriguer l’ensemble de la formation. Au lieu de quatre heures isolées sur l’obésité, intégrons ces enjeux dans toutes les formations.
Par exemple, chaque module devrait inciter à réfléchir aux innovations pertinentes, aux outils numériques disponibles, et à la dimension relationnelle de la prise en charge. C’est ainsi que les bonnes pratiques s’ancreront durablement.
Y.A. : Comment voyez-vous évoluer le rôle du médecin généraliste dans les prochaines années ?
Pr. P.F. : Je pense que nous assistons à un retour aux fondamentaux. Après une période où le rôle du généraliste a été remis en question, où l’on a évoqué son remplacement par des infirmiers en pratique avancée (IPA), l’intelligence artificielle (IA) ou des plateformes de soins non programmés, nous réalisons l’importance de la relation de confiance et du suivi à long terme.
Le généraliste est celui qui prend en charge le patient dans sa globalité, sans trier les motifs de consultation. C’est un rôle précieux, car il permet d’appréhender la santé dans sa dimension la plus large, au-delà des symptômes isolés. Son rôle est de libérer le patient du souci de sa santé et de lui permettre de vivre pleinement.
Parallèlement, le métier va évoluer. Des transferts de tâches vers d’autres professionnels de santé vont se mettre en place, afin d’optimiser l’efficacité de la prise en charge. Mais le généraliste va aussi s’emparer de nouvelles compétences, liées aux technologies (échographie, dermatoscopie, applications numériques) ou à de nouveaux domaines comme la psychothérapie ou la dermatologie.
Enfin, l’exercice isolé va céder la place à des formes d’organisation plus collectives, afin de mieux répondre aux besoins des patients.
Y.A. : Quels sont les temps forts que vous attendez particulièrement lors de ce 18ème congrès, dont le thème est la musique ?
Pr. P.F. : Nous avons toujours à cœur de proposer des thèmes atypiques, qui sortent des sentiers battus, afin de stimuler la réflexion et d’enrichir les échanges. Cette année, la musique sera à l’honneur, un thème riche en parallèles avec notre profession : l’émotion, la technique, la créativité, la narration… Nous aurons même le plaisir d’accueillir des quatuors de l’Orchestre symphonique des médecins de France, et un piano sera mis à disposition des médecins musiciens.
Bien sûr, nous aurons également des temps forts plus classiques, avec des keynotes d’ouverture et de clôture qui promettent d’être marquantes. Bernard Thellier, ancien négociateur du GIGN, interviendra sur la relation patient-médecin, et André Comte-Sponville, philospohe, abordera les thèmes de la santé, du bonheur et de la quête de sens dans notre métier.
Le programme comprendra également des sessions phares sur des sujets d’actualité, tels que les vaccins, la maladie rénale chronique, la santé mentale, la sédation en fin de vie, ou encore le risque cardiovasculaire. Nous proposerons aussi des ateliers pratiques sur les gestes techniques.
Par ailleurs, nous présenterons les résultats préliminaires d’une enquête menée conjointement avec l’Ordre des médecins sur l’activité réelle des médecins généralistes. Cette étude permettra d’avoir une vision plus précise de la diversité de nos pratiques.
Enfin, nous aborderons des questions éthiques, avec une session intitulée « Mon logiciel est-il éthique ? », et des sujets de société, comme le don d’organes, en collaboration avec l’Agence de biomédecine. Nous aurons même un film sur ce sujet, afin d’aborder les enjeux et les réflexions des familles après un don.
Et pour pimenter le tout, nous organiserons des controverses sur des sujets qui font débat, comme le mal-être des médecins généralistes ou la question du « maigrir à tout prix ».
Bref, un programme riche et varié, qui devrait satisfaire tous les appétits, même si certains risquent d’être frustrés de ne pas pouvoir assister à tout !
Y.A. : Qu’espérez-vous que les participants retiendront de cet événement ? Quels sont les messages clés que vous souhaitez transmettre à travers ce congrès ?
Pr. P.F. : Avant tout, j’espère que les participants repartiront avec un sentiment d’élan, de motivation renouvelée pour leur pratique et leur situation professionnelle. L’objectif principal de ce congrès est de les dynamiser, de les conforter dans leur satisfaction professionnelle et de les aider à améliorer encore la qualité de leurs soins. Nous souhaitons qu’ils s’imprègnent des échanges et qu’ils repartent “gonflés à bloc”.
Au-delà de cet aspect, le congrès vise également à améliorer la qualité des soins, à optimiser les organisations et à renforcer les liens entre les différents acteurs de la santé. Nous souhaitons offrir un espace où les enjeux débattus dans les médias pourront être abordés de manière plus approfondie et nuancée.
Il est important de permettre aux médecins d’échanger directement, de confronter leurs points de vue, et de dépasser les idées reçues. Nous souhaitons également faciliter le dialogue avec les partenaires et les exposants, en encourageant une approche constructive et en évitant les jugements hâtifs.
Enfin, il est essentiel de souligner que, dans un souci de transparence et afin d’éviter tout conflit d’intérêts, nous n’accueillons pas d’exposants issus de l’industrie de la prescription, qu’il s’agisse de médicaments, de produits nutritionnels ou cosmétiques.
Y.A. : Dr Frappé, je vous remercie vivement pour cet éclairage passionnant sur le Congrès de la Médecine Générale 2025 et sur les perspectives d’évolution de votre profession.
Pr. P.F. : C’est moi qui vous remercie. J’espère que ce congrès sera un véritable festival d’idées et d’échanges pour tous les participants
Qui est le Pr Paul Frappé ?
Le Pr Paul Frappé est un médecin généraliste, professeur des universités et président du Collège de Médecine Générale. Né en 1979, il a été élu à ce poste en 2019, succédant au Pr Pierre-Louis Druais, et a été réélu en 2022 pour un mandat de trois ans.
Le Pr Frappé a commencé sa carrière comme chef de clinique en médecine générale à la faculté de médecine de Saint-Etienne en 2011. Il a également présidé l’Association française des jeunes chercheurs en médecine générale (FAYR-GP). Depuis, il s’est fortement impliqué dans la promotion de la médecine générale. Il a été élu président du Collège de Médecine Générale pour continuer à fédérer les différentes structures de la discipline sans les uniformiser, en gardant leur diversité. Son engagement remonte à ses premières années d’interne avec l’Isnar-Img, où il a découvert la discipline.
Sous sa présidence, le Collège de Médecine Générale a poursuivi plusieurs chantiers importants, notamment la demande de reconnaissance comme Conseil National Professionnel pour la discipline et la pérennisation des bases de données. Le Pr Frappé a également été élu à la tête du Congrès de la Médecine Générale France, un événement majeur pour les généralistes, qui rassemble les médecins généralistes et leurs interlocuteurs pour discuter des enjeux actuels de la spécialité. Le 18ème Congrès, prévu pour le 27, 28 et 29 mars 2025, aborde des sujets variés, de la santé environnementale à l’intelligence artificielle.