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L’IA, catalyseur de la transformation du système de santé : entretien avec Philippe Turk président de la FHL

Dans le paysage médical en pleine mutation, l'intelligence artificielle se positionne comme un outil incontournable, transformant profondément les pratiques médicales et les systèmes de santé.

Pour comprendre cette révolution, nous avons échangé avec Philippe Turk, président de la fédération des Hôpitaux Luxembourgeois (FHL). Son expérience et sa vision nous éclairent sur l’impact actuel et futur de l’IA dans la médecine.

Pourriez-vous nous expliquer brièvement votre rôle et votre expérience en lien avec l’IA dans le domaine de la santé ?

Je suis président de la Fédération des Hôpitaux Luxembourgeois (FHL), qui regroupe tous les hôpitaux luxembourgeois avec un total de 9.000 employés et 1.500 médecins spécialistes. En tant que tel, je suis aux premières loges de la digitalisation et de l’intégration de l’IA dans le système de santé luxembourgeois. Je fais partie du comité scientifique de la Healthcare Week Luxembourg qui se présente comme une plateforme pour faciliter le dialogue sur l’avenir de la médecine et promouvoir l’innovation en l’Europe.

Quelle est votre perception générale de l’impact de l’IA sur le système de santé actuel ?

L’IA transforme le système de santé à tous les niveaux, que ce soit pour la recherche et du développement des médicaments, le diagnostic, l’imagerie, la détection précoce de maladies, ou encore la gestion de flux de patients. Amené à évoluer, l’IA est un outil d’assistance qui sera plus en plus omniprésent, et qui va permettre une accélération générale pour toute la chaîne de soins.

Commençons par la recherche et le développement. Comment l’IA influence-t-elle le processus de recherche médicale, notamment en matière de découverte de médicaments ou de traitements, et de leur mise sur le marché ?

L’IA transforme le paradigme de la recherche, passant d’une approche classique basée sur les essais empiriques et statistiques – ce qu’on appelle la méthode ‘double aveugle’, contre placebo – à une méthode centrée sur des analyses numériques des milliers de cas, en vitesse infiniment accélérée. L’IA se base sur  de nombreuses formes de données issues entre autres de la génomique, de la protéomique, de la metabolomique autant que de données comportementales. Ceci permet d’accélérer les processus de validation et de gagner un temps précieux dans la recherche et le dépôt de dossiers réglementaires. Si mettre sur le marché une nouvelle molécule prenait dix ans auparavant, ce délai va se comprimer de façon spectaculaire.

Quels sont les cas d’usage les plus prometteurs de l’IA dans le traitement personnalisé des patients ?

L’IA se révèle particulièrement prometteuse dans trois domaines clés: le diagnostic précoce des maladies, le développement accéléré des traitements et des thérapies, et l’optimisation des parcours. L’IA permet, par exemple, de travailler avec des « digital twins » (jumeaux numériques) qui peuvent considérablement réduire le temps de développement des médicaments, qui jusqu’à présent nécessitait des dizaines d’années en laboratoire avant leur mise sur le marché.

Comment l’IA change-t-elle la manière dont les diagnostics sont posés aujourd’hui ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?

La transformation la plus flagrante concerne l’imagerie médicale, car elle permet d’analyser rapidement d’énormes quantités d’images qu’aucun humain ne pourrait gérer. Elle offre ainsi une aide précieuse à la décision du médecin et accélère exponentiellement le diagnostic. Les diabétologues font aussi évoluer leurs services pour intégrer ces nouvelles technologies.

L’IoMT (Internet of Medical Things) offre également de formidables avancées pour la détection précoce, notamment pour de maladies neuro-dégénératives comme Alzheimer ou Parkinson : des capteurs qui analysent le mouvement des yeux ou le mouvement des jambes permettent de détecter les premiers signes d’une maladie, grâce à la lecture des données par l’IA.

Craignez-vous que l’IA puisse un jour remplacer les professionnels de santé, ou pensez-vous qu’elle joue plutôt un rôle de complément ?

L’IA est conçue pour assister l’expert médical et pour optimiser et accélérer la précision des diagnostics et la prise des décisions, pas pour remplacer un cerveau humain. Le médecin reste en charge de l’interprétation des données et de la mise en œuvre d’une médecine personnalisée. C’est la synergie entre l’homme et la machine,, le « mariage » entre compétences humaines et capacités technologiques qui apportent une réelle valeur ajoutée à la pratique médicale.

Quels sont les défis majeurs que les professionnels de santé rencontrent lorsqu’ils intègrent l’IA dans leur travail ?

Le changement soulève des défis importants, notamment en termes de qualité, d’homogénéité et de partage solidaire et efficace des données. L’autre défi est stratégique : il est crucial pour les établissements et systèmes de santé de faire des choix et prioriser leurs besoins afin de pour ne pas se laisser submerger par le large éventail de technologies disponibles. Un plan d’intégration bien structuré est donc nécessaire pour déterminer dans quels domaines l’IA sera prioritaire est le plus bénéfique. Enfin, il faut sensibiliser le grand public à la protection des données et gagner sa confiance. Il faut d’une part démontrer les avantages des nouvelles technologies, tout en informant sur leurs limites. Il faut également les rassurer sur le rôle du médecin et de l’humain tout court : la relation de confiance entre le patient et le médecin reste au cœur du processus de soin, et l’IA doit être perçue comme un outil complémentaire, non comme un substitut.

L’IA soulève de nombreuses questions éthiques, notamment en matière de protection des données des patients. Comment abordez-vous ces préoccupations ?

La solidarité et la protection de l’individu sont au cœur de notre approche. Heureusement, l’Europe est en avance en matière de réglementation et a mis la barre mondiale très haut – notamment avec le European Data Protection Supervisor qui offre un cadre règlementaire rassurant pour la protection des données médicales. Ces cadres sont essentiels pour instaurer la confiance, par exemple avec  le concept « opt out » qui permet de respecter la liberté individuelle.

Sur le même thème : L’avenir du diagnostic : les dernières avancées en biotech, medtech et healthtech selon Philippe Turk

Comment voyez-vous l’évolution de la réglementation autour de l’IA dans le secteur médical ? Est-elle suffisante ?

La protection des données et la cybersécurité sont cruciales pour l’évolution de l’IA, et des technologies en général, dans le domaine de la santé. L’initiative ‘European Health Data Space’ (EHDS) est un pilier clé de cette avancée.

L’IA peut-elle réduire les inégalités d’accès aux soins de santé, ou y a-t-il un risque d’accentuer ces inégalités ?

L’IA a le potentiel de réduire les inégalités d’accès aux soins, notamment grâce aux cadres réglementaires européens qui veillent à ce que les systèmes de santé restent ouverts à tous. Cependant, cette avancée soulève des questions sociétales importantes, surtout concernant le financement de traitements personnalisés potentiellement très coûteux. Nous comptons 440 millions de citoyens assurés dans l’Union Européenne. Le progrès du système de santé doit rester fondé sur leur solidarité dans les 27 états membres.

Quelles sont les compétences que les futurs médecins devront maîtriser pour travailler efficacement avec l’IA ?

Les futurs médecins n’auront pas besoin de compétences spécifiques en IA ; c’est l’IA qui devra s’adapter à leurs besoins. Ce qui est crucial, c’est un dialogue continu entre les professionnels de santé et les entrepreneurs, afin que les nouvelles technologies répondent vraiment aux besoins du terrain. C’est une des ambitions de la Healthcare Week Luxembourg : offrir une plateforme pour faciliter ce dialogue entre ces deux univers.

Quels efforts sont nécessaires pour rendre les solutions d’IA accessibles dans les pays en développement ou dans les zones rurales ?

L’IA peut jouer un rôle crucial pour la démocratisation sanitaire. Toutefois, il est important de d’abord poser par la question de la répartition des soins dans les ‘déserts médicaux’, dans les zones rurales aussi bien que les pays en développement. L’IA peut être un complément précieux aux structures de santé existantes, mais en aucun cas un substitut là où de telles structures sont inexistantes ou insuffisantes.

Quels développements futurs de l’IA dans le domaine de la santé vous enthousiasment le plus ?

On peut mentionner deux domaines principaux où le développement de l’IA est particulièrement enthousiasmant : d’abord, la facilitation du travail des professionnels de santé qui le rend plus attractif ; ensuite, l’amélioration de la qualité des données qui permettra une analyse plus fine et une véritable personnalisation des soins. L’IA et l’application des nouvelles technologies de santé engendre certes des coûts supplémentaires, mais elle nous permettra aussi de gagner en efficacité dans l’administration et l’application des soins et progresser vers une médecine beaucoup plus préventive que réactive.

Si vous deviez donner un conseil aux professionnels de santé qui hésitent encore à adopter l’IA, quel serait-il ?

Dans certaines disciplines, l’IA est déjà adoptée avec beaucoup d’enthousiasme. Par exemple, pour les radiologues, elle est déjà un outil incontournable, permettant de traiter des centaines d’images en quelques secondes. Le défi n’est pas forcément de convaincre les professionnels d’utiliser l’IA, mais plutôt de canaliser et rationaliser leur appétit. Cependant, l’adoption de l’IA dans d’autres domaines, comme la gestion des flux de patients, peut rencontrer des barrières. Tout dépend des applications spécifiques de l’IA, et des barrières à leur mise en œuvre. Le rôle d’initiatives comme la Healthcare Week Luxembourg est justement d’étudier ces usages et barrières, tout en rassurant les professionnels. 

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