IA en dermatologie : entretien avec le Dr Alexandre Lellouch
Le Dr Alexandre Lellouch, chirurgien plasticien et chercheur à l'INSERM, dévoile les résultats d'une étude inédite sur l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le dépistage du cancer de la peau. Avec 2000 lésions analysées et 500 cancers détectés, cette approche novatrice combinant expertise médicale et technologie de pointe promet de révolutionner la dermatologie en France.

Le Dr Alexandre Lellouch, chirurgien plasticien et chercheur à l’Inserm, révèle les résultats prometteurs de son étude sur l’intelligence artificielle appliquée au dépistage du cancer cutané. Avec une sensibilité de 92%, cette technologie permet désormais un accès aux soins en 24h contre plusieurs mois d’attente habituellement. Une réorganisation inspirée du modèle australien qui bouscule les pratiques françaises traditionnelles.
Une approche différente face à la pénurie de dermatologues
Le Dr Alexandre Lellouch n’est pas un médecin ordinaire. Chirurgien plasticien et chercheur à l’Inserm, il occupe également des postes de Lecturer à Harvard et de chercheur à Cedar Sinai, tout en gérant sa clinique parisienne. Cette double expertise franco-américaine lui a permis d’identifier un problème majeur dans le système de santé français : l’accès aux soins dermatologiques.
“Nous constations une pénurie de dermatologues et des difficultés d’accès aux soins pour des problèmes simples“, explique le Dr Lellouch. Cette observation, couplée à son expérience internationale, l’a conduit à s’inspirer du modèle australien où “4/5ème des outils d’IA pour le dépistage du cancer de la peau sont utilisés par des médecins généralistes“.
En novembre 2022, il cofonde avec le Dr Moshé Assouline la structure Maison Abeille, un centre parisien innovant offrant un dépistage et un traitement rapides des cancers cutanés. Cette initiative répond à une réalité alarmante : en France, le délai moyen pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue se compte en mois, alors que dans leur cabinet, un patient peut être reçu en 24 heures.
Un modèle disruptif inspiré de l’Australie
Le modèle développé par le Dr Lellouch se démarque radicalement des pratiques traditionnelles françaises. “En France, il existe une certaine opposition à ce que les médecins généralistes pratiquent la dermatoscopie“, souligne-t-il. Cette résistance corporatiste a longtemps freiné l’évolution des pratiques.
À contre-courant, le Dr Lellouch a mis en place une approche intégrée qui combine “la médecine générale, la chirurgie et la dermatologie au sein d’un même lieu pour une prise en charge rapide“. Cette organisation permet une prise en charge globale et immédiate : “Nous proposons une prise en charge à 360 degrés avec un adressage immédiat en chirurgie si nécessaire, permettant un dépistage et un traitement dans la même heure.“
Cette approche n’a pas été sans obstacles. Le modèle a pu être mis en place grâce à un investissement conséquent : “environ 150 000 euros rien que pour la machine d’IA“, sans compter les ressources humaines et l’organisation spécifique nécessaires.
L’IA comme assistant médical : performances et limites
L’étude menée par le Dr Lellouch et son équipe a produit des résultats significatifs. L’intelligence artificielle utilisée pour le dépistage du cancer de la peau présente “une sensibilité de 92% et une spécificité de 43%“. Ces chiffres méritent d’être explicités.
“Une sensibilité de 92% signifie que l’IA passe peu à côté d’un cancer, mais qu’elle manque environ 8% des cas“, précise le Dr Lellouch. Quant à la spécificité de 43%, elle indique que “dans 60% des cas où l’IA détecte une suspicion, il ne s’agit pas d’un cancer“. En d’autres termes, l’IA a tendance à surdiagnostiquer.
Ce surdiagnostic est-il problématique ? Pas selon le Dr Lellouch : “Pour nous, il est préférable de surdiagnostiquer plutôt que de passer à côté d’un cancer.” Cette position reflète une approche prudente de la médecine, où le risque de manquer un diagnostic grave est considéré comme plus préjudiciable que celui de réaliser des examens complémentaires parfois inutiles.
Toutefois, le médecin insiste sur un point fondamental : “La décision finale reste celle du médecin.” L’IA n’est qu’un outil d’aide à la décision, et non un substitut au jugement clinique. “Actuellement, nous ne pouvons pas encore lui faire entièrement confiance“, précise le Dr Lellouch.
Une collaboration médicale inédite au service de l’innovation
La réussite de ce projet repose en grande partie sur la collaboration entre le Dr Lellouch et le Dr Assouline. “Cette collaboration inédite et notre bonne entente ont été clés“, affirme le chirurgien. Les deux médecins ont travaillé main dans la main pour mettre en place les processus, définir les tarifs adaptés aux patients et organiser le suivi.
Cette complémentarité professionnelle a permis d’optimiser la prise en charge : “Le Dr Assouline se consacre principalement au dépistage du cancer de la peau.” Cette spécialisation et le travail d’équipe ont été déterminants dans la mise en place de cette étude novatrice.
L’organisation du cabinet fonctionne “un peu comme une startup“, avec des process de travail efficaces permettant de traiter un volume important de patients tout en maintenant une qualité de soins optimale. Cette approche entrepreneuriale de la médecine, encore peu répandue en France, s’inspire des modèles anglo-saxons où l’efficience organisationnelle est davantage valorisée.
Les bénéfices concrets pour les patients et le système de santé
L’intégration de l’IA dans la pratique médicale apporte plusieurs avantages tangibles. Pour les médecins, “l’IA est une aide qui nous fait gagner du temps et nous permet d’être plus systématiques, notamment grâce à la cartographie corporelle“, explique le Dr Lellouch.
Pour les patients, le bénéfice principal réside dans la réduction drastique des délais d’attente. Alors que le temps moyen pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue en France se compte en mois, le modèle mis en place par le Dr Lellouch permet un accès aux soins en 24 heures.
Cette rapidité de prise en charge est cruciale dans le cas des cancers cutanés, où un diagnostic précoce peut significativement améliorer le pronostic. La prise en charge intégrée permet également d’éviter le parcours du combattant habituel des patients, qui doivent souvent consulter plusieurs spécialistes dans différents lieux avant d’obtenir un traitement.
L’avenir de l’IA en dermatologie : formation et évolution
Le Dr Lellouch est convaincu que “la précision de l’IA va s’améliorer avec le temps“. Cette évolution technologique devra s’accompagner d’une adaptation de la formation médicale : “Il est important d’intégrer l’IA dans la formation des futurs dermatologues pour qu’ils apprennent à l’utiliser de manière critique et éclairée.“
Le feedback des médecins utilisateurs est essentiel pour faire progresser ces technologies. “À terme, le conseil médical pourrait être influencé par l’IA, il est donc crucial que les médecins développent une intelligence d’interprétation face à ces outils“, souligne le chirurgien.
Cette vision prospective s’inscrit dans un mouvement plus large d’implication des médecins dans le développement technologique : “Nous pensons que les médecins doivent être plus impliqués dans le développement et l’évaluation des technologies médicales.” Cette participation active des praticiens est indispensable pour garantir que les outils développés répondent réellement aux besoins de la pratique clinique.
Vers une réorganisation du système de soins
Le message que souhaite transmettre le Dr Lellouch lors de sa participation au salon MedInTechs est clair : “Chacun a un rôle à jouer dans l’amélioration du système de soins.” Cette amélioration passe par “l’éducation des patients, le rôle des médecins généralistes et la collaboration essentielle avec les dermatologues.“
Le médecin plaide pour une organisation plus efficace des soins, où les outils comme l’IA sont des aides précieuses. Son appel est sans équivoque : “Il faut arrêter de se plaindre et travailler ensemble pour améliorer les choses. Le partage du soin et la remise en question des egos sont nécessaires.“
Un signe encourageant est déjà perceptible : “Je suis d’ailleurs ravi de constater que la Société Française de Dermatologie reconnaît désormais l’importance de la dermatoscopie pour les médecins généralistes.” Cette évolution des mentalités est indispensable pour faire face aux défis actuels du système de santé, notamment la pénurie de spécialistes dans certaines régions.
Une médecine augmentée plutôt que remplacée
L’étude menée par le Dr Lellouch illustre parfaitement comment l’intelligence artificielle peut être intégrée à la pratique médicale pour en améliorer l’efficacité sans se substituer au jugement clinique. L’objectif n’est pas de “remplacer le médecin, mais de lui fournir un outil supplémentaire pour une meilleure prise en charge des patients.“
Cette approche de “médecine augmentée” par la technologie, couplée à une organisation innovante des soins, offre une réponse concrète à la pénurie de dermatologues et aux délais d’attente excessifs. Elle démontre qu’il est possible de transformer les contraintes en opportunités d’innovation.
Le modèle développé par le Dr Lellouch et son équipe pourrait inspirer d’autres spécialités médicales confrontées à des défis similaires. Il rappelle que l’innovation en santé ne se limite pas aux avancées technologiques, mais englobe également l’organisation des soins et la collaboration interprofessionnelle.