Territoires et Santé(e) | Déserts médicaux : Laissons les médecins trouver les solutions !
En France, la lutte contre les déserts médicaux alimente de nombreux débats. De nombreux rapports du Sénat (2017, 2021, 2023) et un texte de la commission transpartisane signée par 237 sénateurs le 18 novembre 2024 proposent des solutions qui ne sont que coercitives. Cela me laisse perplexe... Et si nous faisions confiance aux médecins pour prendre en charge cette problématique de santé publique ? Leur expertise et leur connaissance du terrain permettent de concevoir des solutions concrètes et adaptées à leur exercice professionnel.
Depuis 2016, je suis sensibilisée et engagée dans la lutte contre les déserts médicaux. Malheureusement, la situation ne cesse de se dégrader. En 2016, j’ai été confrontée à la souffrance de mes confrères dans leur pratique quotidienne en zones rurales, en 2018 en zones périurbaines, et aujourd’hui, en milieu urbain. La crise sanitaire du COVID-19 en 2020 n’a fait qu’exacerber ces problématiques. La recherche de successeurs dans les communes rurales, de collaborateurs dans les zones périurbaines, et, désormais, de médecins traitants en milieu urbain démontre clairement que le manque de médecins, initialement conjoncturel, devient un véritable défi structurel.
Lutte contre les déserts médicaux : Évitons les décrets « hors sol »
Les déserts médicaux ne cessent de progresser, touchant aussi bien les zones rurales, périurbaines qu’urbaines. Ce problème désormais structurel est aggravé par des départs à la retraite et une désaffection pour l’exercice libéral dans les zones isolées. Face à la désertification médicale, le gouvernement envisage des réglementations en guise de solutions. La coercition n’est pas envisageable dans la profession médicale pour laquelle la liberté d’exercice passe avant toute autre valeur. Les incitations financières sont un levier, mais les jeunes médecins d’aujourd’hui y sont moins sensibles qu’il y a dix ans.
Et si nous faisions confiance aux médecins pour trouver des solutions ?
N’avons-nous pas confiance en nos jeunes médecins ? Pourtant ils ont fait leurs preuves lors de la crise sanitaire, répondant présents jusqu’à l’épuisement.
N’avons-nous pas confiance en la communauté médicale ? Pourtant chaque jour, elle s’engage auprès de leurs patients nuit et jour, partout en France et territoires d’Outre-Mer (zones de désert médical incluses), sans coercition. Elle organise la permanence de soins, l’exercice coordonné et l’injonction contradictoire d’obligation de permanence de soin à nombre décroissant de médecins.
Alors, pourquoi ne pas les soutenir davantage ?
Plutôt que de multiplier les incitations financières, qui sont intéressantes mais moins motivantes, pourquoi ne pas leur proposer des solutions environnementales et conceptuelles adaptées à leurs besoins ? Les professionnels de santé ont besoin d’une dynamique collégiale — politique, professionnelle et territoriale — pour avancer ensemble, co-construire et optimiser une meilleure répartition territoriale des professionnels de santé, centrée sur le choix du médecin qui est l’essence de la profession. Ces médecins, déjà engagés, sont prêts à collaborer avec les collectivités locales : montrez-leur vos régions, et ils vous montreront leurs compétences !
Déserts médicaux et jeunes professionnels : Vivre une vie qui leur ressemble
Les difficultés d’accès aux soins dans les territoires moins dotés en professionnels de santé et plus spécifiquement en médecins constituent l’une des vulnérabilités du système de santé français. Certaines préoccupations, comme l’âge moyen des médecins en activité, semblent s’atténuer, mais ne suffisent pas à résoudre le problème structurel du manque de médecins dans certaines régions.
La moyenne d’âge des médecins a diminué, grâce à l’entrée en activité de générations plus nombreuses issues du desserrement de la contrainte du numerus clausus dans les années 2000. En 2021, elle était de 49,3 ans, contre 50,7 ans en 2012. Cependant, cette baisse cache une réalité inquiétante : les départs massifs à la retraite des médecins aggravent la difficulté de remplacement dans les zones peu attractives, comme les zones rurales, accentuant les inégalités territoriales.
La médecine de campagne ne fait plus rêver !
Aujourd’hui, un médecin qui part à la retraite est remplacé par deux jeunes médecins. En effet la sociologie du métier change : la médecine, longtemps perçue comme un « métier de dévouement », se rapproche des autres professions et se « banalise ». Pour les jeunes médecins, l’intérêt qu’ils portent à leur travail s’accompagne d’une volonté de préserver leur vie familiale. Ils souhaitent avoir un équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Cela est particulièrement visible dans un contexte où les professions de santé se féminisent. En 2021, 65 % des médecins généralistes de moins de 40 ans étaient des femmes.
De nombreux professionnels de santé souhaitent s’aligner sur les temps de travail commun (35 heures) et de bénéficier des mêmes durées et des mêmes périodes de vacances. Cela explique en partie la baisse d’intérêt pour l’exercice libéral, au profit de l’exercice salarié (dont les remplacements et les missions), plus flexible et mieux adapté à leur mode de vie. Ils recherchent un environnement de travail différent, moins isolé, avec davantage de liens avec leurs confrères et d’autres professionnels de santé.
L’attractivité d’une région : Un facteur clé
Les jeunes médecins seraient prêts à venir travailler dans des territoires « oubliés » … mais ils ne les connaissent pas. Le terme de « désert médical » est délétère à la promotion de ces territoires. Les jeunes praticiens ont des a priori négatifs sur les modes de vie en milieu rural et semi rural : on les comprend ! Ils n’entendent parler que de désert… qui aurait envie de travailler dans le désert ?
Le lieu d’installation des jeunes médecins dépend de nombreux facteurs, tels que la situation géographique, le contexte économique, et l’offre de services ou de loisirs (1)
L’environnement urbain, notamment, n’est plus aussi attractif pour les jeunes couples avec enfants. La cherté de la ville, le manque d’espaces verts et la pression urbaine les poussent à rechercher un cadre de vie différent. Les médecins restent souvent dans les grandes villes, leur région d’apprentissage, autour du centre hospitalo-universitaire, sans opportunités d’explorer d’autres régions. Il n’existe que peu de solution permettant aux jeunes médecins de connaître d’autres modes d’exercice dans des régions différentes que celles de leurs études. Donc ils ont des difficultés à aller en région.
Stop au statut de médecin réglementé ! Les médecins et les départements se choisissent !
Le médecin est indépendant. Le médecin, qu’il soit libéral ou salarié, doit avoir la possibilité de choisir le lieu où il souhaite exercer. Des initiatives comme le collectif DOCNDOC visent à faciliter la répartition des jeunes médecins des zones urbaines vers des régions moins dotées, tout en les accompagnant dans leur choix et leur installation. Cela inclut un soutien pour l’accueil de leurs familles et leur intégration dans un nouvel environnement. Une des réponses apportées est de comprendre que la répartition des professionnels de santé dépend non seulement du médecin, mais aussi de sa famille. Ces médecins ont également la capacité d’intégrer des technologies avancées, comme la télémédecine et les objets connectés, pour exercer en toute liberté.
1 (CNOM, Commission jeunes médecins. Enquête sur les déterminants de l’installation chez les internes, les remplaçants exclusifs et les installés. 2019)
A propos de l'auteur de l'article
Pascale Karila-Cohen
Dr Pascale Karila-Cohen, radiologue hospitalière, entrepreneuse engagée, fondatrice de docndoc.fr. Collectifs de professionnels de santé luttant contre les déserts médicaux depuis 2016.